«Le problème, aujourd’hui, est qu’il y a beaucoup d’argent, mais pas vraiment de vision. Il y a un problème de culture de l’architecture.» Hasna Hadjilah est architecte et secrétaire générale du SYNAA, le tout nouveau Syndicat national des architectes agréés algériens créé en 2012. Le syndicat s’était fait de culture de l’architecture.» Hasna Hadjilah est architecte et secrétaire générale du SYNAA, le tout nouveau Syndicat national des architectes agréés algériens créé en 2012.
Le syndicat s’était fait brillamment remarquer en juin dernier – et sa représentante aussi – en lançant la première édition des Cafés de l’Architecture dans l’écrin lumineux de la Villa Abdeltif. Pour commencer, qu’est-ce qui fascine le plus Hasna dans Alger ? «Ce qui fait la qualité d’Alger, c’est d’abord le site, c’est la montagne qui surplombe la mer, c’est la lumière, le climat, c’est tout ça. Ce qui est fascinant aussi, c’est l’intelligence avec laquelle l’architecture s’est implantée sur le site. Quand vous êtes en train de vous balader dans un couloir de rue, à un moment donné, les bâtiments s’interrompent pour laisser voir la mer. C’est ça qui est beau.
L’architecture est là, et à un moment donné, elle se fait discrète, elle s’efface… », détaille-telle avec poésie. Hasna Hadjilah attache une attention particulière à la rythmique et à la respiration du tissu urbain, et cette scansion n’est possible qu’au prix d’un juste équilibre «entre le bâti et le non-bâti» comme elle dit. «Ce qui fait, aujourd’hui encore, la qualité de quartiers très recherchés comme Kouba ou Hydra, c’est l’équilibre entre le construit et le non-construit», appuie-t-elle. En parlant de la disposition des vieux quartiers, Hasna Hadjilah retient surtout la régularité de cet urbanisme tracé au cordeau, et ordonné par un règlement respecté par tous.
«Mon attachement aux immeubles d’Alger, et il y en a beaucoup de simples, doit davantage à la manière de traduire ce respect du règlement de l’urbanisme qu’au bâtiment lui-même», précise-t-elle. Il est, dès lors, important, selon elle, de comprendre et de consigner ces codes «pour savoir comment s’implanter dans Alger» et «préserver cette qualité des espaces». En passionnée du patrimoine – sans pour autant verser dans la nostalgie –, Hasna Hadjilah estime qu’il «faut tout faire pour préserver ces bâtiments». «L’intérêt de préserver Alger, ce n’est pas par nostalgie.
C’est tellement fait dans le respect des règles. Tant que l’on n’a pas compris ces règles-là, c’est à chaque fois une catastrophe de perdre un bâtiment.» L’ambassadrice du Synaa ne manque pas d’attirer notre attention sur l’effet pervers de la «spéculation sur le foncier» qui pousse les plus nantis à démolir des villas qu’ils auront payées à coups de milliards pour construire à la place des bunkers au goût douteux. «A Kouba, vous avez une maison sur quatre avec un permis de démolir. C’est effarant !», déplore-t-elle. «Le problème aujourd’hui, enchaîne Hasna, est qu’il y a beaucoup d’argent, mais pas vraiment de vision. Il y a un problème de culture de l’architecture. Il y a tout le temps des appels d’offres, on construit beaucoup. Mais existe-til une commande d’architecture ? J’ai la conviction que non. On commande du bâtiment. Il y a une grosse différence entre les deux.» Hasna Hadjilah s’élève contre l’idée, assez répandue, qui voit l’architecture comme un simple décor, une coquetterie d’esthète.
«L’architecture est d’abord une discipline sociale», martèle la secrétaire du Synaa, avant de renchérir : «L’architecte est d’abord un acteur social.» «Il n’y a pas que la dimension esthétique. Il y a d’abord la dimension sociale de l’architecture, et cela se traduit clairement dans le type de logements que l’on produit depuis 50 ans. On faisait de meilleurs logements dans les années 1970 qu’aujourd’hui, même si ce n’était pas terrible. Garidi est meilleur que les Bananiers, pour ne citer que cet exemplelà. Le jour même où nous organisions le Café de l’Architecture, nous avons eu vent d’une déclaration du ministre qui disait qu’il n’y aurait pas de concours parce que cela prend du temps et qu’il y a 250 000 logements à bâtir, en ajoutant que de toute façon, il faut qu’ils soient tous pareils.» Un parti pris régulièrement justifié par l’exécution, sous le sceau de l’urgence, de ces programmes. «Mais cela fait 50 ans que l’on est dans l’urgence. Estce que nous avons réglé, pour autant, le problème ?», réplique l’architecte. «L’Etat s’obstine à construire tous les logements sociaux au point d’en faire un objet de spéculation. L’Etat doit être garant de la qualité. Au lieu de construire 250 000 logements/an qu’il va céder presque gratuitement, il devrait plutôt céder les terrains à des prix relativement raisonnables à des promoteurs», recommande-t-elle. «Il y a une négation totale du rôle de l’architecte» Par ailleurs, Hasna Hadjilah fera remarquer que ces programmes massifs de logements ne dispensent pas l’Etat d’organiser des concours d’architecture. «Tant que l’Etat pense que l’architecture, c’est du superflu, il peut s’en passer, oui», ironise-t-elle. «Un architecte, c’est d’abord un acteur social qui va dessiner l’habitat du citoyen de manière à ce qu’il vive heureux, et s’il est heureux, il ne va pas chercher à brûler des pneus et il va bien éduquer ses enfants et profiter de la vie. Si le citoyen vit mal, c’est parce que son habitat n’a pas été étudié», dissèque l’experte en habitat urbain. Elle rappelle que la loi 9407 du 18 mai 1994 relative à l’architecture «définit l’architecture comme une activité d’intérêt public et rend l’architecte dépositaire de l’acte de bâtir». «L’Etat est garant du respect de l’architecture, alors si l’Etat lui-même vous dit qu’il n’a pas besoin d’architecture, qu’il arrête de former des architectes à ce moment-là ! C’est une négation totale du rôle de l’architecte. Et ce n’est pas uniquement la faute de l’Etat. L’université est complètement déconnectée de ce qui se construit», assène l’architecte. «Il y a des choses qui se construisent au vu et au su des écoles d’architecture et il n’y a aucune réaction, les Bananiers, Bab Ezzouar, Ouled Fayet… Pourtant, on enseigne Pouillon, on parle aux étudiants de La Casbah… Et c’est ceci qui nous met dans une
position d’extraterrestres dans la pratique. C’est que nous sommes formés d’une certaine façon, pour
position d’extraterrestres dans la pratique. C’est que nous sommes formés d’une certaine façon, pour débarquer ensuite dans un milieu qui n’a rien à voir avec ce que l’on a appris !» Hasna Hadjilah regrette que le Plan stratégique d’Alger se soit fait «un peu en catimini». «C’était presque du secret défense. Or, pour qu’un projet marche, il faut de la concertation», souligne-t-elle en appelant à une gouvernance ouverte sur les citoyens. Et alors que Sellal s’émeut qu’il n’y ait pas de vie nocturne à Alger, Hasna Hadjilah se désole, quant à elle, de ce que les meilleures places à Alger, notamment sa façade maritime, soient accaparées par toute sorte de bâtiments officiels et de sécurité, comme l’illustre l’interdiction d’accès à l’Amirauté, ce qui conforte cette image ô combien rebattue selon laquelle «Alger tourne le dos à la mer». «Alger se prête à la vie nocturne, le climat est doux, les espaces sont à échelle humaine, il y a la mer. Le problème est que les meilleurs sites dans Alger qui peuvent créer des zones attractives pour les citoyens sont occupés (par les forces de sécurité, ndlr). Ça s’expliquait avant, du temps des Turcs, mais aujourd’hui, avec la technologie, la sécurité ne s’assure plus de la même façon. Il faut donc libérer ces espaces.»