De l’accès à la concurrence dans la commande publique de maîtrise d’œuvre en Algérie.

LETTRE OUVERTE

A monsieur le Ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville

 De l’accès à la concurrence dans la commande publique de maîtrise d’œuvre en Algérie.

 

Monsieur le ministre,

Face au mépris affiché par votre département à nos sollicitations, nos propositions et nos offres de participation et collaboration concernant les défis de l’heure, et dont vous avez la responsabilité et la charge, à travers nos multiples correspondances et notamment celles :

– Réf /008/SYN/P/2020 du 14 avril 2020 et 009/SYN/P/2020 du 26 avril 2020 ayant pour objet les modalités de compensation des préjudices occasionnés par les mesures de prévention de l’épidémie du COVID19 sur les structures de maîtrise d’œuvre.

– Réf / 13/SYN/P/2020 du 7 décembre 2020 ayant pour objet l’accès à la commande publique de maîtrise d’œuvre.

– Réf / 001/SYN/P/2021 et 002/SYN/P/2021 du 14 janvier 2021 ayant pour objet une demande de votre intervention concernant « l’avis juridique » émis par le chef de la DMP du Ministère des Finances.

– Réf / 006/SYN/P/2021 du 2 mars 2021 ayant pour objet une demande d’audience.

 

Face au refus de réponses à nos différents courriers,

Le SYNAA, qui ne cesse d’appeler à la concertation, n’a alors d’autre alternative que de vous saisir publiquement par lettre ouverte, afin de faire parvenir les revendications d’une corporation d’architectes délaissée et ignorée, jusqu’à être empêtrée dans un environnement d’exercice des plus délétères.

Monsieur le Ministre

Le 22 mars 2020, le Président de la République décidait en Conseil des Ministres « l’arrêt de la conclusion des contrats d’études et de services avec les bureaux étrangers, pour épargner à l’Algérie, près de 7 milliards de dollars / an », une dépense pratiquée allègrement jusque-là –entre autres – dans le secteur du bâtiment.

Avec ses programmes importants et la mobilisation de moyens financiers colossaux pour leur réalisation, la commande publique en bâtiment aurait dû être un levier économique pour promouvoir l’architecture et la construction en Algérie, et permettre l’émergence de moyens de maîtrise d’œuvre, de réalisation et de production de matériaux de construction de niveau mondial, et garantir –à terme- la constitution d’une force nationale, et par-delà, l’indépendance du pays dans le domaine.

Aujourd’hui, force est de constater que tout cet effort national, qui aurait dû constituer un tremplin pour l’acquisition d’un savoir-faire algérien favorisant l’essor économique dans le secteur du BTPH et la qualité de la production, n’aura pas rejailli sur les moyens du pays.

En particulier, les programmes pharaoniques engagés depuis 20 ans dans le secteur du logement et de l’équipement, d’intérêt national mais aussi de proximité, auraient dû permettre l’émergence de structures de maitrise d’œuvre innovantes et professionnelles, aux compétences managériales avérées, à même de répondre aux besoins nationaux à court terme, mais surtout capables de conquérir des marchés à l’international.

Pire, notre profession, qui ne compte aujourd’hui que 9.000 architectes agréés pour un territoire de 2,382 millions km², soit 2 pour 10.000 habitants  (pour entre 6 et 13 pour 10.000 hab. en Europe) se trouve réduite à quémander des règles d’accès à la concurrence équitables et transparentes, afin d’assurer sa survie.

Monsieur le Ministre,

Les expressions de mécontentement des architectes sont manifestes quant aux modalités d’accès à la concurrence de la commande publique en maîtrise d’œuvre.

Les données documentées émanant des confrères sur le territoire national et des bureaux locaux de wilayas du SYNAA, laissent apparaître, sur les deux dernières années (Août 2018 / Août 2020) des disparités flagrantes quant à la répartition de la commande publique de maîtrise d’œuvre relative à la réalisation d’un programme de plus de 130 500 logements toutes formules confondues.

En effet, les quelques chiffres qui suivent donnent un aperçu de la répartition de la commande publique de maîtrise d’œuvre durant cette période. Ainsi, et de manière générale:

  • moins de 15% des architectes inscrits à l’Ordre ont pu en bénéficier ;

Et dans le cadre de ce programme de logements de 16,3 milliards DA en honoraires de maîtrise d’œuvre.

  • 4% seulement des architectes inscrits à l’Ordre ont pu en bénéficier.

Ceci alors que :

  • 29 attributaires ont capitalisé :
    • 5,46 % des projets
    • Représentant 50,3% du montant total de la commande publique
    • d’une valeur de 8,235 milliards de dinars,
    • Avec des honoraires s’échelonnant entre 100 et 795 millions de dinars ;

Mieux encore,

  • 9 de ces « attributaires » ont capitalisé à eux seuls (sur les 9000 architectes) :
    • 54.4 % de cette dépense, (soit 27.3 du montant global des attributions)   soit 4,480 milliards de dinars
    • Et entre 340 millions et 795 millions de dinars d’honoraires chacun.

 

  • tandis que les 3 premiers se sont vus attribuer des montants de plus de :
    • 795 millions      de dinars            pour                      5.811 logements
    • 688 millions      de dinars            pour                      5.536 logements
    • 573 millions      de dinars            pour                      4.860 logements

 

A noter qu’au vu des avis d’attribution qui se suivent et se ressemblent, les chiffres recueillis durant le dernier semestre sont loin de démentir cette tendance.

Décriée par tous, cette iniquité flagrante n’a été rendue possible que par les restrictions à l’accès à la concurrence, imposées sous couvert d’une classification des architectes sur les bases des moyens matériels et non sur la qualité du projet architectural, ni sur la compétence, la créativité et la maitrise.

D’autre part, la programmation d’opérations par milliers de logements, si elle a été conçue pour favoriser l’émergence de sarl « chinoises », « turques » et autres (de droit algérien !!!!!!), et exclure systématiquement les entreprises algériennes de l’acquisition de moyens et de savoir faire, a surtout permis les dysfonctionnements dénoncés plus haut.

Le « projet architectural » n’étant plus défini ni par l’aménagement d’un site, ni sa parcelle encore moins le génie des lieux et de l’environnement direct, mais par une « décision d’inscription financière » pour laquelle une assiette foncière est réquisitionnée.

 

Nous aurions applaudi si cette politique avait permis l’émergence de la qualité et l’excellence architecturale. Mais…

Monsieur le Ministre

Le cadre de vie aliénant des algériens caractérisé par la taille démesurée des ensembles produits et leur qualité médiocre, est défini « autocratiquement » selon le paradigme de la performance du chiffre tout azimut, et quasi exclusivement par une inscription financière budgétisant les « opérations » conjuguée au ciblage des programmes d’habitat par catégories de populations en fonction de leurs revenus, excluant de fait toute démarche qualitative, essence même de l’architecture et de l’urbanisme.

La qualité des constructions, leur efficacité et leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant constituent les principaux enjeux qui déterminent la qualité de l’architecture et du cadre de vie. L’architecture qui se caractérise par une présence constante dans le quotidien de chaque citoyen, guide les usages et influence les comportements tant à l’intérieur des constructions qu’à leurs abords. Elle est le constituant fondamental du cadre de vie et joue un rôle important sur la santé morale et physique de l’être humain et sur sa capacité de socialisation.

Mais si l’architecture est incontestablement l’aboutissement d’un acte de création conduit par un concepteur –l’architecte en l’occurrence- elle est aussi et avant tout générée par une qualité de la commande qui ne peut faire l’impasse –outre les besoins et le programme – du sens et des valeurs qu’elle entend véhiculer au travers de l’émergence d’un édifice.

La question de l’architecture qui est un défi civilisationnel, vecteur d’une dynamique économique considérable n’est certainement pas l’apanage des professionnels. C’est celui de l’Etat d’abord et de la société dans son ensemble. Pour l’Etat cela ne peut se traduire que par une volonté d’architecture que porterait une politique à défendre par les pouvoirs publics au plus haut niveau de la décision. Ce qu’avait déjà exprimé le SYNAA dans son « plaidoyer pour une politique architecturale en Algérie » et transmis au Chef du gouvernement en Février 2016.

A l’occasion de la tenue de la 6ème session de son Conseil National le 24 avril 2018, le SYNAA dénonçait déjà les procédures de présélection des structures d’études déplorées unanimement par les architectes du fait qu’ils se retrouvent, par de malencontreux écueils sélectifs carrément exclus de la commande publique.

Les cahiers des charges qui ne sont autres qu’une « classification administrative» à peine voilée des structures d’étude, rendent sévèrement exclusives les critères arbitraires d’accès à la commande architecturale, confrontant ainsi les architectes à des conditions des plus inconsidérées qui soient, ouvrant la voie à une minorité de s’accaparer de la majeure partie du budget consacré !

Le SYNAA demande que ces cahiers des charges soient fondamentalement révisés et fassent l’objet de la concertation la plus large possible pour que ne soit considéré, – outre l’objectif de la qualité architecturale qui est l’essence même de toute consultation en architecture-, que la concrétisation d’une politique claire de répartition qualifiante et professionnalisante des moyens nationaux de maitrise d’œuvre.

Le SYNAA appelle les pouvoirs publics à mettre un terme à cette grave dérive qui caractérise la répartition de la dépense publique dans le secteur de la maîtrise d’œuvre et estime impérieux la mise en place des conditions à même de faire respecter un accès loyal et équitable à la concurrence dans le secteur de la maîtrise d’œuvre, sur la base des seuls critères de qualité de l’œuvre, conditions indispensables à l’émergence de la qualité en architecture.

 

Pour le SYNAA,

 

Hasna HADJILAH – Présidente.