«L’Etat choisit les architectes dont les offres sont les moins chères»

ACHOUR MIHOUBI. PRÉSIDENT DU SYNDICAT NATIONAL DES ARCHITECTES AGRÉÉS ALGÉRIENS (SYNAA)

Coup de gueule des architectes. Lors d’une rencontre organisée mercredi à Alger, ils ont appelé l’Etat à prendre ses responsabilités envers leur corporation. Le Premier ministre est pourtant interpellé depuis trois ans sans qu’aucune réponse ne leur soit donnée.

­ Est-­ce que la création du syndicat vient suite à l’anarchie urbaine et architecturale qui caractérise le développement des villes aujourd’hui ?

Le syndicat est né de la volonté d’un certain nombres d’architectes qui expriment un ras-le-bol face à la manière dont ils sont traités aujourd’hui. Nous existons depuis 2012, nous avons un certain nombre de préoccupations que nous avons soulevées auprès des pouvoirs publics. Le problème majeur, c’est la rémunération des études et de suivi des architectes. Le syndicat appelle les pouvoirs publics à une révision urgente de la partie variable des honoraires de maîtrise d’œuvre.

Il faut savoir ce qui doit revenir à la maîtrise d’œuvre et d’ouvrage est actuellement fixé à seulement 6%, alors que initialement, il est prévu à 18%. Vient ensuite le rejet de la formule étude et réalisation telle qu’elle est pratiquée dans les appels d’offres publics. Elle place en effet l’architecte sous la coupe d’une entreprise. C’est un déni du rôle de l’architecte. Le syndicat revendique que le recours à la consultation d’architecture soit la règle et non pas une exception. Il faut distinguer la consultation architecturale des autres consultations commerciales.

Le concours d’architecture doit être à l’abri des considérations financières. Il ne faut pas avoir peur que les honoraires s’envolent dans la mesure où ils sont cadrés par un texte réglementaire. Nous rejetons aussi le projet de décret visant obligation aux architectes d’être titulaires d’un certificat de classification professionnelle, dit d’habilitation. Il faut d’ailleurs retenir qu’une bonne maîtrise d’ouvrage mobilise une bonne maîtrise d’œuvre.

­ Quelle est la différence entre l’Ordre des architectes et le syndicat ?

L’Ordre est d’abord une institution de l’Etat, dans la mesure où est il est créé par décret. La mission de l’Ordre des architecte : la promotion de l’architecture notamment à travers les comités d’architecture et d’urbanisme instaurés par le même décret, mais n’ont pourtant jamais vu le jour dans aucune wilaya.

Ces comités font dans l’information et aussi dans la réflexion et la protection du patrimoine. Ça permet aux habitants de participer à la construction de la ville. Il a essentiellement un rôle de protection du citoyen contre une mauvaise pratique du métier par des architectes. Il défend les intérêts moraux et matériaux, car l’architecte est perçu comme quelqu’un qui gêne, nous manquons de cette culture de l’architecture.

­ Aujourd’hui vous plaidez pour une politique architecturale. Que proposez-­vous ?

Il faut d’abord distinguer le bâtiment et l’architecture. Le premier consiste en la mise en projet technique à travers les matériaux, alors que le second, c’est toute la culture de l’espace. L’Algérie a toujours fait dans le bâtiment et très peu dans l’architecture, si ce n’est quelques réalisations dans le temps de Boumediène. Depuis, rien n’a été fait dans le but de valoriser la création architecturale qui est une empreinte majeure d’une culture sur un sol donné.

C’est à travers une architecture que l’on distingue une culture d’une autre. Mais en l’absence de véritable politique architecturale, aucune identité algérienne n’est aujourd’hui véhiculée. L’architecture est d’abord un acte politique, il faut une volonté d’une politique d’architecture de la part d’un Etat qui la transmet à ses représentants locaux. Or, que se passe­-t-­il aujourd’hui ? On choisit les architectes comme on choisit les fournisseurs d’un stylo ou d’autres produits, c’est­-à-­dire l’offre la moins chère, et peu importe ce qu’il propose. Avec le temps, cela a mené à cette situation anarchique de l’urbanisme.

A mon sens, c’est l’une des raisons principales pour en arriver au cadre bâti d’aujourd’hui. Il n’y a jamais eu de politique architecturale et du cadre de vie, même si la loi 94­07 sur la production architecturale consacre l’architecture d’intérêt public. Les mécanismes d’application n’ont jamais vu le jour. L’architecte n’est donc pas en situation de jouer son rôle. Il n’y a pas de considération envers cette corporation, seulement un désir de construire des bâtiments. Tout se traduit en quantité, sans s’inscrire dans le temps et sans faire appel à la culture. Il n’y a aucune vision politique, ni de cohésion entre les politiques et la pratique.

­ Vous êtes placé en votre qualité d’architecte sous la tutelle du ministère de l’Habitat. Ce que vous dénoncez…

Si le ministère de l’Habitat avait le souci de l’architecture, le problème ne serait pas posé aujourd’hui. Le ministère, qui est plutôt un «ministère du Logement», a un programme de construction qu’il doit terminer avec le moins de moyens possible. Tous ceux qui peuvent le gêner sont éliminés. Nous souffrons d’un métier qui n’est pas connu et reconnu à sa juste valeur. Et cette précarité est entretenue. Dans tous les pays du monde, l’architecture dépend du ministère de la Culture.

Car il s’agit d’un art. L’habitat et le logement ne sont qu’un secteur d’intervention de l’architecte. Il ne faut pas le réduire à cela seulement. Dans nos revendications, nous insistons sur le fait que l’architecture doit être placée bien au­-dessus d’un ministère, pourquoi pas rattachée à la Chefferie du gouvernement ou à la Présidence ? Les enjeux sont très importants.

­ Nous avons l’impression que l’Algérie est dans une politique d’incompétence assumée. Nous faisons appel dans la plupart des cas à des expertises étrangères, tout en écartant les compétences nationales…

Nous sommes formés par l’université algérienne. Et il faut le dire, il y a un gros décalage entre la formation et la pratique. Quand on veut faire appel à des expertises étrangères, on admet qu’un étranger soit payé 20 fois plus qu’un Algérien ! Je me pose la question de ce que cela veut dire ? Est­-ce qu’on admet de fait que l’Algérien est génétiquement incompétent ? Sur quelle base applique-­t­on cela ? L’arrêté qui réglemente les honoraires des architectes, rectifié en 2001, ne précise portant pas s’il s’agit de compétence locale ou étrangère.

Ce qui traduit pour moi un complexe, même si j’admets que pour certains projets, on doit faire appel à des étrangers. Mais en définitive, ces étrangers sous-­traitent chez les Algériens. J’attends de l’Etat qu’il fasse un état des lieux des cadres qu’il a formés, de ses besoins et d’une vision prospective. Il faut une cohérence entre les institutions, entre le ministère de l’Enseignement supérieur et celui l’Habitat.

Achour Mihoubi.

Né en juillet 1960 à Alger, il est diplômé de l’EPAU (Ecole polytechnique d’architecture et d’urbanisme) en 1986. Il décroche le certificat d’études approfondies en architecture urbaine à Paris en 1989.

Depuis 1996, il exerce en tant qu’architecte libéral. Premier président du conseil national de l’Ordre des architectes en 1995, il est membre fondateur du Synaa et président depuis 2012.